Aujourd'hui nous sommes le : 21/09/23.   
La trochoïde est la courbe décrite par un point situé sur un disque qui roule sur un plan. On peut en voir la définition et la simulation ici..
Cette courbe mathématique est intéressante pour la lutherie car c'est une très bonne candidate pour dessiner les profils transversaux de la voûte d'un instrument à cordes et donc pour réaliser des gabarits qui guideront le travail de sculpture. Il ne s'agit pas de la seule proposition de représentation mathématique de cette surface, loin s'en faut, et les discussions de forums spécialisés vont bon train sur ce sujet. Cependant, la trochoïde a aussi l'avantage, vis à vis d'autres courbes envisageables, de pouvoir être dessinée manuellement avec le disque qui roule..... Ceci rend très possible sinon plausible son utilisation par les luthiers du 17ème ou du 18ème siècle. Cependant cela ne prouve pas, bien sûr, que ça l'ait été !
Mais quel intérêt y a t'il a utiliser une courbe mathématique plutôt que de simplement recopier les profils d'un bon violon existant ?
Et bien, en premier lieu parce que l'on ne dispose pas forcément d'un tel relevé. En effet il n'est pas difficile de se procurer sur le net de bonnes photographies des célèbres violons Stradivarius, Guarnerius ou autres qui permettent d'établir des contours précis de ces instruments. Mais ce n'est pas aussi simple pour la forme des voûtes que l'on ne peut connaître qu'en ayant accès aux plans de ces instruments lorsqu'ils existent.
En deuxième lieu, le plan d'un instrument est souvent en fait la copie... de la photocopie...de la copie (...) d'une photogrammétrie ou d'un relevé et les erreurs se sont "un peu" accumulées!.. La sculpture de l'instrument n'est pas non plus exempte d' irrégularités, de dissymétries qui, même issues la main du "maître", ne sont pas forcément à reproduire absolument. Il n'est d'ailleurs pas vraiment possible de faire la part des choses entre l'erreur de relevé et celle du coup de gouge. Enfin les outrages de 300 années de vie et de réparations plus ou moins réussies ont aussi altéré certainement le profil objectif initial du maître.
Plutôt que de simplement recopier il est donc assez logique de rechercher à se guider avec des formes pures qui étaient sans doute aussi dans le regard et les geste de nos inspirateurs, d'autant que nous disposons, en plus, des moyens informatiques pour les dessiner facilement.
Pour me faire ma propre idée de l'opportunité d'utiliser la trochoïde j'ai moi même fait la comparaison entre cette courbe et les profils du modèle "Le Alard" de "Guarnerius" dont je me suis inspiré pour mon 2ème violon. J'ai pu établir ces profils à partir des relevés photogrammétriques du modèle auxquels j'ai pu avoir accès. Voici ce qu'il en est pour le profil des C, le relevé du "Alard" est en rouge alors que la trochoide que j'ai calculée à partir des mêmes largeur et hauteur est en pointillé noir.
La correspondance est, ici, remarquable ! Cette trochoïde est vraiment une très bonne candidate pour constituer un modèle très semblable au résultat original mais débarrassé des irrégularités diverses quelles qu'en soient leur cause.
La comparaison que j'ai faite avec les autres profils montre aussi une correspondance assez bonne. L' écart au niveau de la gorge du filet n'est pas significatif car il n'y avait pas de relevé de hauteur à cet endroit dans le document original (d'où la présence d'une ligne horizontale).
Il est donc question de mettre en oeuvre la trochoïde de manière pratique dans mon projet. Je ne suis pas le premier à me lancer dans cette démarche et je me suis inspiré entre autres des écrits de Vojtech Blahout dans making the violin . Pour les coupes transversales des voûtes de violon c'est la trochoïde raccourcie, appelée aussi cycloïde raccourcie qui est utilisée. Ses équations paramétriques sont les suivantes :
x= R t -d sint
y= R - d cost
- x et y sont les coordonnées cartésiennes de la courbe,
- R est le rayon du disque qui roule sur le plan,
- d est la distance du point du disque qui décrit la courbe, à l'axe de rotation de ce disque,
- t est le paramètre angulaire qui varie entre 0 et 2pi si l'on souhaite dessiner une période le la courbe.
Pour dessiner les courbes on peut utiliser une application en ligne comme le propose V.Blahout mais on peut aussi utiliser directement inkscape ce qui permet de les intégrer plus facilement aux dessins de l'instrument.
Appliquée à la voûte du violon, la longueur d'une période de la courbe correspond à un peu moins de la largeur de l'instrument, précisément entre les deux creux de la gorge du filet . L'endroit où l'on positionne ce creux, donc le minimum de la courbe, influe beaucoup sur l'aspect général de la voûte. Je choisis de le fixer à la verticale de la face intérieure de la contre éclisse. J'obtiens une largeur X.
La hauteur H de la courbe correspond à la hauteur entre le sommet de la voûte et le creux de la gorge des filets.
Les équations deviennent, en posant T=t/2π (qui va de 0 à 1 pour une période) :
x= XT-H/2 sin2 πT
y'=y-R=-H/2 cos 2πT
Inkscape dispose d'un module "courbes paramétriques" (menu: extensions/rendu) qui permet de dessiner ces courbes. Je réalise les calculs entre T=-0,1 et T=1,1 pour allonger un peu les extrémités des courbes au delà du minimum.
Les valeurs données au rectangle importent peu car je ne vais pas le conserver, mais elle définissent l'échelle donc doivent être cohérentes avec les dimensions du dessin. (quelques essais sont nécessaires pour bien comprendre, et il faut aussi remarquer que inkscape a conservé l'usage du point décimal dans les formules ! )
Je peux intégrer l'objet "courbe" obtenu, dans mon dessin d'instrument, en le redressant au besoin.
Il faut commencer par établir la courbe de l'axe longitudinal de l'instrument. Pour le fond c'est un grand arc de cercle qui passe par les bords (le creux de la gorge) et le sommet de la voûte, à la hauteur choisie. Pour la table l'arc de cercle doit être un peu aplati au centre. On peut l'obtenir en fusionnant avec un arc de rayon un peu plus grand pour le centre de l'instrument.
Je relève alors les hauteurs de la courbe longitudinale aux intersections avec les 5 plans de coupe (AA à EE) que j'ai retenus pour faire les gabarits. J'introduis ces hauteurs, et les largeurs d'instrument qui vont avec, dans des formules telles que présentées ci dessus. J'obtiens alors les courbes transversales pour les 5 plans de coupes, que je peux ajouter à mon dessin.
Je recopie toutes ces coupes, fond et table, sur 2 formats A4 pour préparer leur impression.
Ces impressions sont ensuite collées sur des supports légers qui sont chantournés suivant le tracé des courbes.
Ils sont alors utilisés comme guides pour le travail de sculpture.
Il s'agit simplement de guides. Je ne pense pas qu'une précision absolue pour une courbe déterminée soit un paramètre crucial. De fait, les très bons violons peuvent avoir des formes d'arches très différentes et je n'ai trouvé nulle part de règle, même empirique qui établisse vraiment une relation entre un résultat sonore réellement qualifié et une forme spécifique. D'ailleurs de nombreux luthiers disent travailler simplement "à vue", ce qui favorise sûrement une certaine diversité ! Pour ma part, je pense que les gabarits sont cependant utiles pour savoir où l'on va.
Il est possible d'obtenir une image des courbes sur l'instrument avec une ficelle et un éclairage direct. Cette technique est aussi pratique pour faire un relevé "non intrusif" sur un instrument existant.
En fait, je finis, en général, par faire quelque chose d'un peu plus ventru que ce qu'indiquent les gabarits ...!
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